La première chose que j'ai faite, après avoir démissionné (et il convient de noter que cet emploi était un travail de podcasteur à temps plein dans le journalisme d’actualité) a été de travailler à la promotion de ma petite entreprise, Podot. J'y pensais depuis déjà plusieurs mois. Écoutez, je ne pense pas avoir proposé quelque chose d’assez attrayant, qui aurait fait la différence pour des clients potentiels, mais c’était important pour moi de le faire à ma façon. Tout comme il m’importait que la société existe avec une identité cohérente sur toutes les plateformes et qu’elle me donne l’impression de briser l’isolement que certaines personnes ressentent lorsqu’elles deviennent indépendantes. Je me suis toujours (surtout, au cours de la dernière année) opposé à l'idée de me présenter comme indépendant - non, à la place, je dis que je dirige ma propre entreprise. La différence est sans importance (et peut-être même fausse), mais cela me permet de surmonter la crainte d'avoir quitté mon emploi pour pouvoir rester en pyjama au travail ou jouer à Fortnite avant le déjeuner un jeudi. J'ai fait ce choix de vie parce que je voulais plus, pas moins.
La deuxième chose que j’ai faite a été de créer une émission - Polling Politics - en terrain connu, puisque c’était quelque chose que j’avais fait, de diverses manières, des centaines de fois auparavant. C’était ce que je voulais que ma société de podcast soit: on créé et on publie son propre contenu, supporté par des annonces publicitaires. J'ai embauché des présentateurs et commencé à diffuser l'émission sans annonceur. Mais, par miracle, deux sponsors différents ont supporté cette émission en 2018 et 2019 pour 28 épisodes.
Mais l’émission est maintenant en pause et les raisons sont claires et troublantes. Sans entrer dans le détail des accords (qui serait utile à la compréhension mais contractuellement interdit), les revenus de l’émission, en premier lieu, devaient correspondre à ma mise de départ. Chaque épisode disposait d’un budget d’environ quelques centaines de dollars pour payer les présentateurs, sa promotion, puis remplir les caisses de la société et ainsi me dégager un salaire. Mais la marge était une chose rase : ce n’était pas un projet générant une épargne à utiliser en cas de coups durs, ou être en capacité de me payer beaucoup plus que ce que je gagnerais en tant que producteur junior pour une pige pour la BBC ou Spotify, ou n’importe quel société possédant des fonds à dépenser.
Mais, vous savez, c’était mon bébé et le genre de projet pour lequel j’ai investi un salaire à perte, donc je pouvais l’accepter. Sauf que je devais déjà faire de la production, du montage et la promotion, que j'étais épuisée, alors lorsque notre deuxième contrat publicitaire a pris fin, j’ai du remettre mon costume de vendeur pour trouver des nouveaux financement à l’émission. Et en réalité, il était de plus en plus difficile de décrocher un engagement à long terme. Il est plus logique, si on est joueur, de payer pour un produit qui a 0 auditeur avec un potentiel de 100’000 auditeurs, plutôt que de payer pour un produit qui a toujours eu 10’000 auditeurs (ce ne sont que des exemples, les chiffres réels sont tout autre). Après 28 épisodes, il était plus difficile d’affirmer que l’émission croissait de façon exponentielle, ou qu’elle possédait encore un potentiel inexploité, et je ne pouvais pas, du point de vue de la gestion du temps, conclure des accords publicitaire pour moins de 6 épisodes. Il se peut qu’avec une force de ventes dédiée, il aurait été possible de vivre à plus court terme, épisode par épisode, et d’espérer que les bonnes opportunités se présentent (et si vous pouvez le faire, vous pouvez également augmenter votre prix par épisode). Mais ce n’était pas possible pour moi, j’ai donc mis le projet en pause pour un avenir dont on connait l’issue.
À cette décision s’ajoute la certitude que les projets sur commande de clients que j’effectuais offrait des rémunérations plus rapides et plus stables. Au cours de cette dernière année, j'ai honoré beaucoup de commandes, générant des certitudes dans un secteur incertain, mais la palette de mes éditos et de mon contenu étaient très similaire à ce que je faisais lorsque je travaillais à temps plein. Les choses avaient donc changé en un an, mais pas tant que ça. Il servitore di un padrone devint Il servitore di due Padroni (ou molti padroni, devrais-je dire).
Et c’est, je pense, l’une des grandes questions du travail d’indépendant: à quel niveau devez-vous privilégier vos projets de passion aux commande rémunérées ? Dans quelle mesure, le calcul du risque récompense-t-il les personnes disposées à subir des difficultés financières pour se développer sur le plan personnel ou créatif ? Existe-t-il une routine sisyphéenne dans laquelle plus on prend des projets alimentaires pour soutenir nos projets plus personnels, plus il devient difficile de fournir à ces projets l'attention et la concentration dont ils ont besoin?
Je n’ai pas de réponse tout faite et complète. Parmi les six ou sept podcasts que je produis actuellement, aucun n’est ce qu’on peut appeler un projet de passion. Tous sont, je pense, bons, mais ce ne sont pas mes idées, ce sont celles du client ou que nous avons conçues ensemble. C’est une partie importante du podcast en tant qu’industrie, et je suis reconnaissant et privilégié d’avoir une réputation qui me permet de le faire, mais ce n’est pas la raison pour laquelle j’ai décidé de créer mon entreprise. C’est la grande interrogation qui me frappe à l’orée de cette fin de première année de podcast : cela en valait-il la peine ? Cela a-t-il valu le risque ? La balance est-elle en ma faveur ?
Il est de plus en plus difficile d’être votre propre patron
Je sentais que la podcast était en mutation et que je voulais être aux premières loges de cette révolution, une chose assez rare dans les médias. Mais les forces qui ont motivé ma décision ont opéré leur magie sur d’autres sociétés, et le marché est en train de devenir beaucoup moins indé, beaucoup moins contre-culturel, beaucoup moins novateur, à l’avenir. Nous l’avons vu avec BBC Sounds, Luminary et l’acquisition par Spotify de Gimlet et Anchor. L’argent en train d’être investi dans l’industrie du podcast signifie qu’il y aura beaucoup plus de producteurs de podcast à plein temps, mais ils seront engagés par les grosses entreprises du secteur. En soi, ce n’est pas une mauvaise chose, surtout si vous êtes un jeune diplômé qui essaie de faire votre chemin, mais cela va inévitablement mettre la pression sur les indés et, je suppose, compliqué la tâche des podcasts les plus innovants qui caractérisaient la première vague du podcast.
Le Podcast commence à sentir l’argent des fonds d’investissement.
En réalité, un demi-milliard de dollars plus tard, je ne suis pas sûr que Spotify sache comment ils peuvent transformer le podcast en une activité génératrice de bénéfices, même pour eux-mêmes, sans parler des créateurs de contenu. Spotify est l’exemple typique de l’indulgence dont les fonds d’investissement ont fait preuve dans l’industrie de la technologie en général, une indulgence qui a des conséquences désastreuses pour les créateurs de contenu: elle affecte salement les musiciens, et les podcasteurs sont les suivants. Le fait est que fabriquer un podcast n’est pas très différent de fabriquer une chaise. De toute façon, vous vous retrouvez avec un produit inaltérable à vendre. Maintenant, je comprends pourquoi des investissements seraient faits pour financer une application améliorant l’efficacité de la vente de chaises ou qui extrait des données des acheteurs de chaises, tout comme je comprends qu’ils recherchent une application pour mieux vendre les podcasts (d'une manière ou d'une autre), mais les podcasteurs ne doivent pas se fourvoyer. L'argent qui afflue dans l'industrie n'est pas pour vous. Dans un premier temps, cela peut vous aider à obtenir des budgets (des budgets servant principalement à créer de l’inflation dans le secteur), mais au final, il est dans l'intérêt de la technologie (les diffuseurs) de réduire le montant payé pour le contenu. Plus Amazon gagne en valeur en tant que société, moins elle a besoin de lâcher du leste aux vendeurs qui utilisent ses services et sa boutique. Dans le podcast, cela sera long et nerveux.
On ne peut pas se développer uniquement avec du contenu
Je pense qu’un travail important en matière de podcasting sera effectué par les entreprises ne proposant que du contenu, mais la réalité est qu’en termes d’investissement et de revenus, il est très difficile de faire évoluer votre activité de podcast sans une technologie derrière. De nombreuses entreprises font du bon travail en matière de technologie de podcasting (et cela reste nécessaire, car personne n’a totalement résolu les problèmes de mise en avant des contenus, de monétisation ou de diffusion) et détourne déjà la plupart des ressources potentielles. Bien sûr, ils ont un produit plus concret, mais je suppose que la plupart feront ce que Spotify, Acast, Audioboom, Luminary, etc. ont produit, et produisent également certains de leurs propres contenus, en créant un petit cercle fermé entre les entreprises de technologie et leur contenu exclusif. Nous avons déjà vu Netflix, Amazon, YouTube et tous les autres le faire déjà en streaming vidéo (sans parler du Big Boss Amazon, qui est à la fois le seul marché en ligne viable et un fournisseur capable de nuire à ceux qui l'utilisent), et je pense que cela se produira de plus en plus avec le podcast, au détriment des sociétés de production indépendantes (à l'exception de celles qui entretiennent une relation très étroite, presque filiale, avec l'un de ces diffuseurs).
Ajouter manuellement des contenus à la demande des créateurs d’un côté, et de l’autre ajouter automatiquement les flux RSS publics ? Or, tous les podcasts ont un flux RSS public. Tous les podcasts sont donc potentiellement ajoutés automatiquement, sans l’autorisation de leur créateur.
L'ajout manuel et consenti, contre l'ajout automatique et subi. C'est ca qui est le plus compliqué avec Majelan. Leurs contradictions. Il est impensable de croire que l'exemple de Luminary ne leur est pas revenu aux oreilles. Et pourtant, ils ont répété les mêmes erreurs.
Mais cela a-t-il été une bonne année pour moi ? Oui et non. Je suis assez équivoque sur le potentiel des podcasts à ce stade. Certes, Il y a une croissance constante du nombre d’auditeurs parmi la génération Y et la génération X, mais je ne suis pas convaincue que ce soit LE FUTUR (cette chose brillante, impossible) pour les médias numériques. Le problème, c’est que si vous commencez à discuter avec des adolescents et que vous leur parlez de podcasts, ils y répondent de la même manière que si vous leur parliez d’un journal papier ou d’un phonographe. Il est étrange que, alors que le public commence à comprendre la lente migration de la radio vers une plate-forme numérique à la demande, cette technologie commence à accuser son âge. Oh, et il n’y a toujours pas d’annonceurs dans l’industrie.
Sur un plan plus personnel, j’ai le sentiment d’avoir produit de bonnes choses, et des moins bonnes. À l'avenir, je vais m’investir davantage dans des émissions qui, à mon avis, en valent réellement la peine d’un point de vue créatif. Je suis toujours prudent en ce qui concerne les investissements des fonds dans des entreprises ne proposant que du contenu, mais je pense que, pour le moment, votre propriété intellectuelle en tant que podcasteur est presque la chose la plus importante. Pouvoir payer ses factures grâce à des commandes de clients est une chose très gratifiante (sans parler du fait que cela va vous nourrir, vous habiller, payer votre loyer…), mais cela met notre industrie à la merci des autres. C’est une relation parasitaire qui, à mon avis, ne s’effacera pas à mesure que la technologie progressera. Déjà, je vois de plus en plus de moyennes et grandes entreprises avec une équipe jeune et férue de technologie qui utilise les talents internes pour créer des podcasts, tout simplement parce qu’elles n’ont pas les compétences pour faire des vidéos ou de l’animation, même basique. Je sais que cela ne semble pas être une réponse très personnelle, mais ça l’est : je souhaite que davantage de podcasts que je crée deviennent aussi une sorte de capital.
Travailler de chez moi a été, dirons-nous, intéressant. Cela m'a permis d'avoir un chiot, bien que cela me rende parfois un peu fou. Ce n’est pas mon ambition ultime, professionnellement, d’être assis à mon bureau (où je suis actuellement) pour le reste de ma vie. Voici mes meilleurs conseils pour devenir un podcasteur indépendant:
- Formalisez tous les aspects financiers du projet, cela rendra la facturation moins stressante.
- Obtenez le plus de contrat possible dès le début, puis prioriser en fonction de ceux qui vous font le moins envie.
- Ayez toujours quelques idées pour des émissions que vous aimeriez faire, même s’il s’agit d’un document Google vide que vous remplissez au fur et à mesure.
- Certaines personnes vous diront qu’il est préférable de sortir de chez vous pour mieux travailler: c’est à vous de décider, ne gaspillez pas votre argent simplement parce que d’autres vous le demandent.
- Retirez vos écouteurs lorsque vous n'en avez pas besoin et allumez la radio.
- Utilisez Twitter et les réseaux sociaux autant que vous le souhaitez: dans cette industrie où les contacts sont essentiels, c’est une forme de travail.
- Prenez un chien.
Si vous êtes un podcasteur indépendant (ou n’importe quel autre type de podcasteur) appréciant ou détestant votre travail, n'hésitez pas à m'envoyer un email à nick [@] podotpods.com et nous pourrons discuter. Je l’ai déjà dit mais je le répète: cette industrie a besoin de plus de transparence et de franchise à propos de ses problèmes, ses limites et ses frustrations. Une grande partie de la conversation sur le podcasting est menée par des évangélistes au succès remarquable. Il est donc facile de se sentir comme un échec si les choses ne se passent pas comme vous le souhaitez. C’est un milieu turbulent, difficile et novateur, où la confiance et l’intérêt pour le produit fluctuent comme la marée. Les personnes qui remportent un franc succès dans ce domaine sont soit des licornes, soit des bullshitters.
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Article traduit de l'anglais par Julien Loisy