DES PROJETS QUI FONT SENS

© Phonurgia Nova dans le cadre du 1er Dinard Podcast Festival, juillet 2021
En plus d’être un temps de rencontres et de débats
autour du podcast, le Dinard Podcast Festival est
un moment privilégié de créations pour les jeunes
auteurs. En août 2020, Mélia Roger et Grégoire Chauvot
participaient au workshop proposé par Félix Blume
(artiste sonore et ingénieur du son dont vous pouvez
découvrir le travail tout l’été et jusqu’au 31 octobre 2021
au musée Réattu d’Arles, département « d’Art Sonore »)
sur le « Paysage sonore ». Cet atelier a donné naissance
à une composition paysagère collective qui s’intitule
« avis de tempête ». D’autres pièces sont composées par
les participants aux Workshop et diffusées en public,
cette année, à Dinard. Mélia et Grégoire reviennent ici sur
leur expérience.
Vous travaillez tous les deux pour le cinéma et êtes passionnés par le son. Pourriez-vous vous présenter en expliquant en quoi et comment êtes-vous liés à ces deux domaines ?
Mélia : Comme beaucoup de personnes qui travaillent dans le son, je suis venue à l’écoute par la musique. J’étais fascinée par les bandes originales de films et j’en jouais beaucoup au piano. Je m’enregistrais et je cherchais différentes sonorités avec les marteaux, les cordes… Petit à petit, à force d’aller au cinéma, j’ai voulu mélanger mon piano à des voix, des ambiances, d’autres bruits… et ça m’a ouvert les oreilles. Aujourd’hui j’essaie d’avoir une pratique à mi-chemin entre un travail de montage son et des expérimentations plus artistiques, concentrées sur l’écoute et l’émotion qu’un paysage sonore peut provoquer. Autant que possible, j’essaie d’aligner mon métier avec mes valeurs humaines et environnementales pour donner du sens à ce que je fais. Avec Grégoire, notre collaboration a débuté à Dinard, après avoir passé du temps à enregistrer ensemble ; on partage des techniques de prise de son et prenons plaisir à explorer ensemble sur le terrain, à nos manières différentes.
Grégoire: C’est en début de lycée que je mets les pieds pour la première fois dans un studio de post-production sonore. Alors intéressé par la musique, découvrir cette face cachée du cinéma a été un réel bouleversement. J’ai été immédiatement séduit par l’étendue des possibles que semblait offrir cette discipline et son potentiel impact narratif dans la fabrication d’un film. Après plusieurs années à manipuler le son pour l’image, j’ai éprouvé le désir de travailler cette matière de façon plus autonome et d’explorer de nouvelles formes narratives. C’est ce qui m’a amené à suivre le workshop de Félix Blume à Dinard, et à développer un intérêt certain pour les paysages sonores. C’est à cette occasion que j'ai rencontré Mélia et que nous avons commencé à travailler DES PROJETS QUI FONT SENS ensemble. Animés d’un même goût pour l’enregistrement et l’exploration de terrain, nous avons aujourd’hui un bon nombre de projets en cours et à venir.
Grégoire: C’est en début de lycée que je mets les pieds pour la première fois dans un studio de post-production sonore. Alors intéressé par la musique, découvrir cette face cachée du cinéma a été un réel bouleversement. J’ai été immédiatement séduit par l’étendue des possibles que semblait offrir cette discipline et son potentiel impact narratif dans la fabrication d’un film. Après plusieurs années à manipuler le son pour l’image, j’ai éprouvé le désir de travailler cette matière de façon plus autonome et d’explorer de nouvelles formes narratives. C’est ce qui m’a amené à suivre le workshop de Félix Blume à Dinard, et à développer un intérêt certain pour les paysages sonores. C’est à cette occasion que j'ai rencontré Mélia et que nous avons commencé à travailler DES PROJETS QUI FONT SENS ensemble. Animés d’un même goût pour l’enregistrement et l’exploration de terrain, nous avons aujourd’hui un bon nombre de projets en cours et à venir.
Cette première édition a lieu à sur les plages où Rohmer tournait Conte d’été… Pour vous, les deux arts, fiction sonore et cinéma, partagent-ils le.s même.s horizon.s?
Le son au cinéma joue de manière inconsciente
sur la réception émotive d’une histoire. L’art sonore
provoque de façon plus conscientisée des élans, des
surprises et du discours critique. Mais les deux se
rejoignent sur la dimension narrative, sonore, qui vise à
nous faire voyager dans un autre temps, un autre espace,
dans une perception active de notre environnement.
Travailler dans les deux domaines aide beaucoup à
faire circuler des méthodes, des questionnements, des
sensibilités ; il est dommage que ces deux milieux soient
si séparés dans la vie professionnelle. L’écoute oscille
sans cesse entre une sensibilité esthétique, musicale,
émotionnelle, narrative et sociale. La conscience de la
construction d’un paysage sonore, de ses dimensions
politiques (par ex. le volume et qualité sonore d’une
sonnerie d’arrêt de tram, qui en dit beaucoup sur le
lieu, le milieu social, le sentiment de sécurité dans un
transport etc.) permet de jouer avec les perceptions d’un
lieu à l’écran tout comme de les questionner avec des
dispositifs plus expérimentaux (installations sonores,
performances etc.).
Mais, au fait, le travail dirigé par Félix Blume était un « paysage sonore ». En composez-vous beaucoup ou êtes-vous plutôt du côté du podcast, de la fiction sonore ou fiction pour la radio ? Que pensez-vous de la politique du son en France ?
Notre pratique est d’abord orientée sur le
paysage sonore, en allant chercher des sons sur le
terrain mais aussi en les mettant en forme dans l’espace
pour créer un moment d’écoute particulier. Ce qui
est passionnant, c’est de donner une intention à une
prise de son ; de trouver ce qui nous anime dans un
grincement, l’acoustique d’une montagne, un équilibre
de vents. Arriver à transmettre un instant précis dans
l’enregistrement, c’est lui donner une forme singulière
et mettre en valeur quelque chose de soi. En fait, cette
transformation est très proche de la fiction sonore ;
comme en parlait aussi Félix Blume dans le workshop
l’année dernière, c’est cette "fictionnalisation du réel" qui
transmet l’émotion. Le micro n’est pas neutre, la durée et
le positionnement de l’enregistrement ne le sont pas non
plus. La narration que l’on crée au moment du montage
est tout aussi proche de la construction d’une fiction,
où l’on choisit une atmosphère, un contexte, un début
et une fin. Le choix du dispositif d’écoute est cependant
très différent entre un podcast écouté seul au casque et
une écoute de groupe sur un système d’enceintes ou un
dispositif d’installation. Ici aussi, le moment d’écoute fait
partie intégrante de la pièce, qu’elle doive s’écouter en
marchant dans la forêt ou en tenant une pierre dans la
main…
Quand s’est dessinée votre vocation pour le son, le cinéma ? Est-ce une vocation, autre chose ?
Le travail d’écoute est quelque chose de
permanent et notre métier fait partie intégrante de notre
identité, de notre personnalité et de la manière dont
nous vivons. Il n’est pas courant de trouver une personne
qui nous accompagne à 4h du matin pour enregistrer
les oiseaux… La recherche de sonorités particulières
et d’ambiances est une attention constante, car il faut
bien alimenter la banque de sons qui servira aux films !
Lorsque l’on commence à être attentif aux sons qui
nous entourent, il est difficile de s’arrêter, car tout peut
être sujet à être enregistré ; il faut donc faire des choix,
donner des intentions, anticiper des besoins, des envies.
De plus en plus, on enregistre aussi des moments plus
intimes, en famille, entre amis, comme si la sauvegarde
sonore de certains moments pouvait aussi nous
rapprocher des nôtres plus tard. Le tout devient une
grande archive de moments forts, d’émotions partagées
et d’oiseaux particuliers. Ce qui nous manque désormais
ce sont des vacances pour dérusher tous ces sons, bien
les nommer, les trier et les transformer pour partager
ces trouvailles.
Quels souvenirs gardez-vous du workshop avec Félix Blume, pourriez-vous nous raconter comment cela s’était passé ? Et aujourd’hui, où en êtes-vous dans votre travail ?
Le workshop avec Félix Blume est un très
bon souvenir. On a eu de beaux moments d’écoute, à
la découverte du paysage sonore de Dinard. Il nous a
permis de prendre des libertés sur nos techniques de
prise de son, sur la forme du montage et la narration
sonore. Dans le son au cinéma, on doit respecter
un certain nombre de codes dont il est difficile de
s’affranchir (spatialisation, durées, équilibre spectrale,
réalisme…) et la semaine avec Félix a permis d’ouvrir ces
barrières, de se sentir plus libre dans la manipulation de
la matière sonore. Mélia était malheureusement tombée
le premier jour du workshop et a dû passer le reste du
séjour en béquilles ; elle s’en est servie comme perches
pour placer des micros discrètement dans les foules de
touristes… une belle manière d’utiliser son corps comme
support microphonique et d’utiliser ce lien si étroit entre
sa présence et le paysage.
En quoi et pourquoi cette première édition du Dinard Podcast Festival est-elle importante pour vous et selon vous? La création sonore est-elle un engagement politique pour vous ?
Phonurgia Nova joue un rôle important dans
la mise en valeur de la pratique du son. On espère que
le DPF fera place à de nouvelles expérimentations, de
nouveaux discours, de nouvelles libertés pour ouvrir le
public à ce contenu, souvent réservé à un cercle assez
restreint d’initiés. C’est vrai que dans notre monde
complètement saturé d’images, inviter le public à lever
les yeux des écrans de téléphone est un engagement
fort. Proposer les ateliers pratiques de construction
d’hydrophones permet aussi de démocratiser l’accès à la
pratique du son, de vulgariser son côté très ‘technique’
qui peut effrayer un bon nombre de personnes.
Oui, la création sonore peut être vécue comme un
engagement politique car elle questionne bon nombre
de valeurs liées à l’empathie, au travail émotionnel
et à l’engagement contre le changement climatique.
En tant qu’artiste, il faut s’emparer des questions
environnementales et sociales pour donner accès à un
contenu émotionnel et narratif qui touche le public.
Une question qui revient à chaque projet, très inspirée
aussi du travail de la chercheuse et artiste australienne
Leah Barclay, est : can environmental listening inspire
ecological change ? Et on espère pouvoir continuer à
explorer ce rapport entre nos valeurs et notre métier
pour donner lieu à des projets qui font sens à ce sujet.
Auriez-vous une recommandation d’écoute à partager en cet été 2021?
Nous écoutons tous les deux beaucoup de
podcasts plutôt informatifs, qui permettent un accès à
des discours plus diversifiés, plus critiques. Pour cela,
on aimerait recommander Le cœur sur la table (après
Les couilles sur la table, NDR) de la journaliste Victoire
Tuaillon, qui explore les enjeux politiques de nos
relations intimes. On aime aussi les récits à la première
personne, souvent des histoires vraies, où l’on peut
entendre une émotion dans la voix, comme avec le
podcast Transfert (Slate). Du côté paysage sonore, on
a beaucoup aimé l’album de l’artiste Melissa Pons, Wolf
soundscapes, construit comme un voyage au cœur d’une
réserve de loups au Portugal, à attendre les premiers
cris. Et pour finir, ouvrir simplement les oreilles autour
de soi, en coupant son téléphone et le moteur de sa
voiture.
Propos recueillis le 25 juillet 2021 par Hélène Courtel
Portrait à retrouver ICI
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